Commerce de bouche

Vous êtes copropriétaire ? Alors vous avez sûrement déjà croisé cette expression dans un ancien règlement de copropriété : « les commerces de bouche sont interdits dans les lots commerciaux ». À première vue, ça semble clair. Et pourtant, juridiquement parlant, c’est du flan. Laissez-nous vous expliquer pourquoi ce terme « commerce de bouche » peut vous attirer des ennuis et surtout, comment rédiger un règlement de copropriété qui tient la route.
Le Piège des « Commerces de Bouche » : Une Notion Qui N’existe Pas
1184 mots, 6 minutes de temps de lecture
Le problème avec « commerce bouche », c’est que ce terme n’apparaît nulle part dans le Code civil ou dans la loi ALUR. Il n’a aucune définition légale. Pour un avocat spécialisé, c’est une aubaine : il suffit de plaider que votre boulangerie n’est pas un « commerce de bouche » mais une artisanat alimentaire pour faire sauter l’interdiction. Et le juge vous donnera raison.
J’ai vu des syndics se faire épingler par le conseil syndical pour avoir laissé passer ce genre de formulation. Le résultat ? Des convocations en assemblée générale, des modifications de règlement à la hâte, et des frais de procédure qui auraient pu être évités. Le syndic est responsable de la gestion des archives et de la rédaction des documents juridiques. Une négligence dans la rédaction du règlement peut engager votre responsabilité personnelle si elle cause un préjudice à la copropriété.
Les Fondations Juridiques d’un Règlement de Copropriété Robuste
Le règlement de copropriété, c’est votre bible. L’article 8 de la loi 18-00 le définit comme les « statuts du syndicat de copropriété ». Il ne s’agit pas d’un document administratif comme les autres : il encadre la vie de centaines de personnes et doit résister aux attaques juridiques.
Un bon règlement doit être :
- Précis : chaque interdiction doit être clairement définie
- Lisible : accessible au copropriétaire lambda, pas seulement aux juristes
- Coercitif : assorti de sanctions précises et proportionnées
L’erreur classique ? Copier-coller des modèles obsolètes qui datent des années 80. Ces modèles contiennent des formulations comme « commerce bouche » qui, à l’époque, passaient. Aujourd’hui, avec la densité urbaine et la multiplication des activités hybrides (traiteur, dark kitchen, épicerie fine), c’est du pain béni pour les contentieux.
Les Risques Concrets pour le Syndic
Lorsqu’un règlement est flou, ce n’est pas juste un problème théorique. Ça a des conséquences financières immédiates. Imaginons : vous avez un copropriétaire qui ouvre une pizzeria à emporter. Le conseil syndical vous demande d’agir. Vous envoyez une mise en demeure. L’avocat du commerçant vous répond que la pizzeria n’est pas un « commerce de bouche » mais un service de restauration rapide, hors du champ de votre interdiction.
Résultat : vous avez perdu du temps, des honoraires de procédure, et éventuellement le procès. Le juge peut considérer que vos frais sont « injustifiés » et refuser de les imputer au copropriétaire fautif. La copropriété paie l’addition. Et vous, syndic, vous vous retrouvez avec une tâche sur votre réputation.
Pire : si le copropriétaire attaque la copropriété pour abus de majorité ou atteinte à la liberté du commerce, vous pouvez être poursuivi pour faute de gestion. L’article 18 de la loi de 1965 vous donne des responsabilités précises
. La négligence dans la rédaction du règlement s’apparente à une faute professionnelle.
Comment Rédiger des Interdictions Qui Tiennent la Route
Alors, comment faire ? Voici la méthode que j’applique depuis dix ans pour des copropriétés de toutes tailles :
1. Nommez les activités, pas des catégories vagues type commerce de bouche
Au lieu de « commerce de bouche », écrivez :
« Il est interdit d’exercer une activité de préparation, de transformation ou de vente de denrées alimentaires nécessitant une extraction de type professionnelle (café, restaurant, boulangerie, boucherie, poissonnerie) ou un stockage de produits frais nécessitant des installations frigorifiques extérieures. Les bars sont interdits. Cette interdiction couvre toute forme de débit de boissons, y compris, mais sans s’y limiter, les bars traditionnels, les bars à chicha, les salons narguilés, boîtes de nuit et tout établissement dont l’objet est de proposer la consommation de boissons alcoolisées ou non, nécessitant ou non une licence de type IV. »
Vous voyez la nuance ? On décrit les nuisances (odeurs, bruit, circulation) et les équipements, pas la notion floue de « bouche ».
2. Basez-vous sur le règlement sanitaire et les lois
Le Code de la santé publique définit les catégories d’établissements recevant du public (ERP) et les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Utilisez ces classifications. Elles sont juridiquement opposables.
Par exemple :
« Les activités de restauration classées en catégorie N de la nomenclature des ERP (établissements de type cafétéria, restaurant, snacks) sont soumises à déclaration préalable au conseil syndical et nécessitent l’accord unanime de l’assemblée générale si elles sont situées en pied d’immeuble. »
3. Anticipez les activités hybrides – commerce de bouche
Les dark kitchens, les traiteurs sans salle de restauration, les épiceries fines avec coin dégustation… Avant de rédiger, faites une veille sur les nouvelles activités de votre quartier. Renseignez-vous auprès de la chambre de commerce. Puis inscrivez dans votre règlement :
« Toute activité commerciale générant une affluence de plus de X personnes/heure ou nécessitant la livraison de marchandises par des véhicules de plus de 3,5 tonnes doit faire l’objet d’une autorisation explicite de l’assemblée générale. »
4. Assortissez de dispositifs techniques
L’interdiction seule ne suffit pas. Prévoyez ce qui se passe si quelqu’un transgresse. Frais de contentieux à sa charge ? Astreinte de 50€ par infraction ? Rappel à l’ordre formalisé ? Plus vous serez précis, moins vous aurez de discussions stériles en AG.
L’Audit de Votre Règlement : Une Obligation Professionnelle
Si vous syndiquez des immeubles anciens, faites une revue de leurs règlements tous les trois ans. Cherchez les termes obsolètes : « commerce bouche », « échoppe », « marchand forain »… Tout cela sent le renfermé juridique et vous expose.
Un règlement de copropriété bien rédigé, c’est aussi un argument commercial pour acquérir de nouveaux mandats. Les conseils syndicaux avertis regardent ça de près. Ils savent qu’un syndic qui laisse trainer des formulations archaïques est un syndic qui risque de leur coûter cher.
Conclusion sur commerce de bouche : La Rédaction, C’est Votre Assurance-Responsabilité
Arrêter d’utiliser « commerce bouche » dans vos règlements, ce n’est pas une question de mode. C’est une question de sécurité juridique et de responsabilité professionnelle. Le syndic ne peut pas déléguer sa responsabilité en matière de rédaction. Chaque phrase floue est une bombe à retardement.
Prenez le temps de faire les choses bien. Consultez un avocat en droit de l’immobilier. Utilisez les nomenclatures officielles. Et surtout, expliquez aux copropriétaires pourquoi ces précisions sont essentielles. Ils comprendront que prévenir un contentieux à 30 000€ vaut bien quelques heures de rédaction supplémentaires.
Votre règlement de copropriété doit être un rempart, pas une passoire. Alors, la prochaine fois que vous tombez sur « commerce de bouche », vous savez quoi faire : vous le rayez, et vous le remplacez par quelque chose qui tient debout.
Pour aller plus loin : Si vous voulez une checklist complète pour auditer votre règlement (comme pour cette histoire de commerce de bouche), nous vous conseillons d’organiser une réunion avec votre conseil syndical et de passer au crible chaque article. Ça vous prendra une demi-journée, mais ça vous évitera des nuits blanches. Et rappelez-vous : un syndic qui écrit bien, c’est un syndic qui se fait moins attaquer. C’est aussi simple que ça. Si vous avez un doute, on peut toujours en parler, contactez-nous !
